- CORSAIRES
- CORSAIRESLe mot «course», d’origine italienne (correre , courir), apparaît dans la langue française au XVIe siècle. Sa définition juridique ne satisfait guère l’historien. Les règles du droit international du XVIIe siècle appliquent le terme à l’activité de navires armés par des particuliers, avec l’autorisation plus ou moins explicite d’un gouvernement, pour combattre le commerce naval d’un État ennemi. Ces formes sont, en général, respectées dans l’espace atlantique du XVIIe siècle. D’autre part, cette expression désigne aussi un état de fait méditerranéen spécifique de la Renaissance. La distinction entre course et piraterie est donc nécessairement très arbitraire. C’est l’histoire qui donne, en définitive, un sens précis au mot «course».Le phénomène de la courseLa course est une arme de faibles, créant une «forme supplétive» de la grande guerre d’escadre, de type «inférieur», à la fois indispensable et gênante pour l’État qui l’avoue ou la tolère. À la différence de la piraterie, elle est affaire collective, menée pour l’essentiel par des villes-États plus ou moins autonomes. Elle crée de véritables villes neuves, comme La Valette, reconstruite en 1565, Livourne, refondée par Cosme de Médicis, ou le grand Alger du XVIIe siècle, véritable ville «à l’américaine». Cette définition s’applique tout aussi bien à Saint-Malo, Dunkerque, Flessingue ou Jersey, pendants atlantiques des «villes puissantes» de la Méditerranée, véritables mondes en marge, fût-ce de la monarchie absolue d’un Louis XIV.Par-delà les villes corsaires, la course est un mode de contact soit entre une civilisation et une autre qui lui est supérieure dans un domaine donné, soit entre deux économies séparées arbitrairement par des réglementations abusives ou des guerres. Elle a pour but de prendre part à un commerce réservé, comme celui des métaux précieux d’Amérique. La course méditerranéenne procède du premier type de contact, l’atlantique du second. Toutes les deux sont cependant dirigées en premier lieu contre l’Empire espagnol à son zénith.La course est spécifiquement un phénomène «moderne», qui atteint son apogée entre 1577 (après Lépante) et 1713-1720 (après le traité d’Utrecht). Sans doute, course et piraterie sont beaucoup plus anciennes. Le XVIe siècle n’a fait que prolonger les usages, les accommodements, les réseaux clandestins qui ont toujours existé en Méditerranée. La police systématique des mers, assurée au XVIIIe siècle par les flottes anglaise et française, empêche les corsaires d’exercer leur activité en temps de paix. La course devient alors une arme de guerre parmi d’autres. Les Surcouf de la période napoléonienne ne seront qu’une survivance. La course disparaît définitivement au XIXe siècle. Car la guerre de corsaires menée pendant les deux guerres mondiales par l’Allemagne est, dans son essence, différente de la course traditionnelle: elle est directement dirigée par l’état-major naval. En outre, quelles qu’en soient les péripéties, son efficacité reste très limitée. La forme de course qui a survécu le plus longtemps est l’algéroise, prétexte à l’intervention française de 1830.Géographiquement, la course affecte les rivages de l’Occident européen et constitue la forme endémique des guerres méditerranéennes. Métaux précieux et hommes (destinés soit aux chiourmes latines ou musulmanes, soit à fournir des rançons) en sont des objets privilégiés. Course et commerce sont donc intimement liés. La course ne peut subsister sans l’existence, tacite et tolérée par tous les gouvernements, d’un réseau commercial parallèle grâce auquel les prises retournent au circuit commercial normal, soit celui du belligérant privé de son trafic habituel, soit celui du pillé, obligé de racheter la marchandise perdue.Légendes et mythesCes quelques remarques élémentaires suffisent pour réduire la légende à la banale réalité. Les mythes sur le sujet ont proliféré dans toutes les histoires nationales. Romans et films s’en sont emparés. En fait, la course évite autant que possible combats et massacres. On s’y résigne en cas de besoin, ou de nette supériorité. Une rançon immédiatement payée est le but le plus habituel de la course atlantique. Ce qui n’empêche pas les actions d’éclat occasionnelles, magnifiées par les Mémoires d’un Duguay-Trouin ou récompensées par les lettres de noblesse.Ainsi s’explique le caractère très mêlé du monde des corsaires. Ils forment une société en marge, avec ses règles propres. Ils se recrutent souvent chez l’adversaire, et ce malgré des affrontements opposant les protestants aux catholiques, les chrétiens aux musulmans, qui, d’un rivage à l’autre, contribuent à justifier course et piraterie. Les renégats abondent à Alger, et comptent nombre de Nordiques. Malouins et habitants des îles anglo-normandes vivent en une curieuse symbiose, aux liens clandestins multiples; ils participent à la formation des réseaux d’émigration de la Révolution. Ainsi la course peut prendre parfois un certain aspect de lutte de classes.Efficacité de la courseMal connue, variable selon les époques, l’efficacité réelle de la course semble avoir été surestimée. C’est au XVIIe siècle qu’elle est la plus grande. Après une première flambée durant la décennie de 1560 à 1570, elle culmine après 1590, déborde sur l’Atlantique où elle est, en revanche, étroitement liée aux guerres, civiles et étrangères.D’après les registres notariaux vénitiens, les pertes de la marine de Venise seraient de trois cents prises (contre trois cent soixante naufrages) entre 1592 et 1609. Les travaux de P. Chaunu montrent que le trafic de Séville a été bien plus préservé: la course y représente à peine le tiers des pertes totales, soit un pourcentage infime du trafic réel, du moins entre 1504 et 1650.Forme typique d’échanges forcés, la course connaît son apogée à l’époque d’«atonie» des grands empires, espagnol et turc, puis lors des grandes confrontations maritimes atlantiques du XVIIe siècle. En elle se conjuguent effort de l’État et guerres menées par des particuliers. Elle traduit donc à sa manière l’imperfection des États, leur faiblesse financière, leur efficacité administrative limitée. La course est un palliatif financier, un moyen aussi de satisfaire commodément certaines aspirations régionales centrifuges.
Encyclopédie Universelle. 2012.